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Le Contrat du Chocolat II – Chapitre 5

Cette histoire n’est pas destinée à un public jeune !

Dans cette histoire, il y a :

-de la violence gratuite (beaucoup)
-une énorme consommation de cannabis
-une énorme consommation de tabac
-des armes à feu et des armes blanches (trafic et utilisation)
du langage vulgaire

Bien entendu, je n’encourage ou ne cautionne aucune de ces choses-là !

Comme pour Le Contrat du Chocolat, il s’agit d’une histoire à prendre au second degré qui, je l’espère, vous amusera (au moins un petit peu !^^)

L'enchère

Canaille regardait d’un air vide les drones éteindre l’incendie causé par l’explosion du robot majordome. Il se sentait épuisé, et les soins apportés par Coral, la Tortue doctoresse appelée en urgence par Sweetie, n’arrangeait rien. Il avait mal, et il devait se retenir pour ne pas insulter la pauvre Coral qui n’avait rien fait de mal. Pour s’occuper et se forcer à demeurer poli, Canaille fumait et observait un peu ce qui l’entourait. Il avait fallu attendre près de dix minutes après la fuite tonitruante de Royal pour que d’autres Chats, à part Sweetie, daignent sortir de chez eux. Apparemment, la plupart d’entre eux étaient des Mardoner, toute la rue leur appartenant, et ils étaient tous choqués du kidnapping de Félix. La plus choquée était Nuage, qui venait d’arriver en catastrophe de l’hôpital où elle tenait compagnie à Diamant et Angel. Elle consolait péniblement les enfants de cet idiot de Nougat, qui avait décidé « d’honorer la mémoire de son petit frère » en se bourrant la gueule en pleine rue. Sans être sûr de lui — car il ne les connaissait pas tant que ça — Canaille crut également reconnaître Perle — tante de Félix et mère d’Angel — ainsi que Fly — cousin de Félix et frère de Diamant. Sweetie était assise à côté de Canaille, et elle se cachait la tête entre les mains, très affectée elle aussi.

— Vous savez, Monsieur Guerindor, je suis vraiment étonnée que vous soyez encore conscient.

Cela le poussa à fixer Coral, dont il ne connaissait le prénom que grâce au petit badge nominatif qu’elle portait sur son chemisier. Il s’agissait d’une tortue de petite taille, assez âgée, avec une voix très douce. Les parties visibles de son corps étaient couvertes d’écailles rouges, et sa carapace jaune et verte présentait de jolis motifs. La Tortue avait des yeux bleu foncé et elle portait des petites lunettes rondes.

— Je suis solide, répondit le Lapin avant de tirer un peu sur sa cigarette.

Il l’était, indéniablement. Ses parents biologiques, les terribles Kellis, étaient particulièrement durs à cuire, et il avait apparemment hérité cela d’eux.

— Vous allez quand même devoir aller à l’hôpital.

Canaille grogna.

— Je peux pas, j’ai trop de trucs à faire, marmonna-t-il en réponse.

Coral soupira profondément.

— J’aimerais pouvoir vous y contraindre, mais je n’ai aucune chance, j’imagine, admit-elle.

— Ouaip.

Canaille se mit debout, et même si sa vision devint noire, il réussit à ne pas s’effondrer. Il avait envie de vomir, mais il inspira profondément et tint le choc.

Qu’est-ce qu’il allait faire, maintenant ?

Rentrer chez lui ? Eclipse allait le massacrer !

— Canaille !

Sweetie se précipita sur lui, craignant qu’il s’évapore comme son petit frère. Cette pensée dramatique donna envie à Canaille de casser quelque chose.

— Tu pars ?

— Je rentre chez moi !

Il ne parlait pas, en l’occurrence, de la résidence des Guerindor. Sa décision était prise : il allait passer quelques jours dans la maison de ses parents biologiques, qu’il avait bien retapée durant toute l’année écoulée. Le temps pour Eclipse d’apprendre sa désobéissance, de s’énerver sans qu’il en soit témoin et de se calmer.

— Il faut que tu nous aides à retrouver Félix !

— Si Félix est pas déjà mort, le retrouver dépend des Chats, pas des Lapins ! Ça me concerne pas !

Sweetie eut l’air profondément peinée, et le désespoir qui l’envahit était si grand et sincère que Canaille eut envie de s’autofrapper. Il fallait qu’il tienne bon, cependant : les problèmes de Félix n’étaient pas les siens ! Ils ne l’avaient jamais été, et ne le seraient jamais !

— Tu crois que Félix est mort ?!

Sweetie avait les yeux pleins de larmes et Canaille sentit toute sa résolution se briser.

— Nan, je pense pas. La dernière fois déjà Royal voulait l’embarquer je ne sais où ! Vous avez sûrement quelques heures devant vous pour retrouver Félix.

Il s’agissait d’une estimation très optimiste, mais Canaille préférait être optimiste.

— Canaille, nous ne sommes pas taillés pour cette situation ! Toi, si !

— Mais c’est pas mon problème !

— Tu es proche de Félix ! Tu ne veux pas lui sauver la vie ?!

Le Lapin fit claquer ses mâchoires, et il s’alluma une nouvelle cigarette : il en avait vitalement besoin.

— Je sais ce que vous avez fait ! gronda-t-il finalement.

Il aimait bien Sweetie. Vraiment. Elle était intelligente et gentille, et elle formait un couple magnifique avec Caoutchouc, qui était et serait toujours la cousine adorée de Canaille. Il était, cependant, furieux après elle. Presque autant qu’après Félix. La confusion qui s’alluma dans les yeux de l’actrice ne fit que le rendre plus en colère : elle osait jouer la comédie ?!

— De quoi parles-tu ? Qui a fait quoi ?

— Félix, toi et probablement tous les autres Mardoner ! Œdipe Vandiar n’a jamais reçu d’ordres venant de ses supérieurs pour pirater les robots de Félix et les pousser à attaquer Luna Ondoriam, c’était Félix !

Les yeux de Sweetie s’arrondirent sous l’effet de la surprise, et Canaille songea qu’elle mériterait bien une ou deux récompenses supplémentaires pour louer ses talents d’actrice.

— Je ne sais pas de quoi tu parles, Canaille ! je te jure que c’est vrai, insista-t-elle devant son air pas convaincu.

— Félix savait depuis des semaines que mon Clan comptait rompre les accords avec le vôtre, il est impossible qu’il ne l’ait pas su ! Il a alors mis en place l’une de ses combines semi-foireuses et inutilement compliquées pour s’en sortir !

Sweetie grimaça : elle savait mieux encore que Canaille à quel point Félix était le roi des manipulations douteuses et parfois atrocement compliquées. Cela avait d’ailleurs sauvé la place des Mardoner à la tête du Clan.

— Quelle combine ? Je ne vois pas l’intérêt, Canaille, vraiment !

— Il propulse son Clan au bord du conflit avec le Clan des Canins, qui est l’un des plus redoutés, et promet de prouver son innocence ! Les Lapins prennent leurs distances définitives avec les Chats, mais alors que tout roule avec les Volatiles, ces derniers se retrouvent responsables de la tentative de meurtre sur Luna Ondoriam. Traduction : les Volatiles vont entrer en guerre avec les Canins en tant qu’agresseurs et tous les autres Clans vont les lâcher ! Les Lapins passent pour des cons et reviennent auprès des Chats la tête basse, et les Chats récupèrent leur monopole de la haute technologie de Faunsinland. Le seul truc qui a tout fait déconner, c’est quand Nougat a tiré. Félix avait pas prévu ça, et il s’est retrouvé sur le chemin de Royal Kelensor à cause de ça !

Un plan compliqué et bancal, mais qui avait fonctionné au final. Du Félix tout craché.

— Félix n’aurait pas…

Sweetie s’interrompit, réalisant l’absurdité de l’affirmation qu’elle s’apprêtait à faire. Son petit frère n’avait aucun scrupule, et elle le savait pertinemment.

— Œdipe a reçu des instructions de ses chefs !

— Via des mails et des messages, jamais directement, car il est de plus en plus parano et refuse de parler en face à face avec ses interlocuteurs la plupart du temps ! C’était largement dans les cordes de Félix, et tu le sais !

Sweetie ouvrit la bouche. Elle la referma aussitôt.

— Eclipse avait raison : Félix une ordure manipulatrice ! Il voulait nous humilier et se venger des Volatiles, et il a bien mené sa barque !

Canaille se sentait horriblement trahi par le Chat. Il lui souhaitait une mort lente et douloureuse entre les mains de Royal Kelensor… Mais cette pensée lui donna soudainement envie de vomir.

Il ne savait pas ce qu’il voulait. Certainement pas sauver Félix. Certainement pas le laisser mourir.

— Vous allez nous payer ça, Sweetie. Toi, ta famille et ton Clan ! Je vais tout dire à Eclipse et je t’assure que Madame Ondoriam la croira quand elle lui expliquera tout ! On va vous démolir !

Sweetie écarquilla les yeux, réalisant la gravité des accusations de Canaille — et des conséquences qu’elles pourraient avoir.

— Tu ne peux pas faire ça, Canaille ! On va se faire mettre en pièces !

— Fallait y penser avant !

— Mais je n’étais pas au courant ! Personne n’était au courant ! J’ai même du mal à croire ce que tu racontes ! Si ce plan absurde n’était pas horriblement Félixien, je te dirais que tu délires complètement ! Félix ne consulte personne pour ses plans foireux, il est assez intelligent et tordu pour tout orchestrer tout seul ! Tu ne peux pas faire payer à tous les Chats ses conneries ! Je ne veux pas perdre Caoutchouc, Canaille !

Canaille sentit son cœur se serrer. Il ne voulait pas non plus que sa cousine perde Sweetie : elles étaient faites l’une pour l’autre. Il n’avait jamais vu un couple aussi adorable, avec une alchimie aussi parfaite et un amour aussi total. Le seul autre couple qui l’impressionnait de manière approchante était le couple étrange, mais incroyablement solide que formaient Ruina Arckentors et Moustique.

— Si vous livrez Félix et lui mettez tout sur le dos, le Clan des Chats évitera la guerre.

Cela fit mal à Canaille, car il ne voulait pas que Félix se fasse mettre en pièces, mais le Chat avait causé sa propre ruine et il ne pouvait rien y faire.

— Non ! Jamais de la vie, Canaille ! Autant le laisser entre les pattes de Kelensor, dans ce cas-là !

— Alors laisse-le entre ses pattes, parce que c’est soit Kelensor, soit les Clans des Canins, des Volatiles et le mien. Choisis le moindre mal !

Sweetie se mit à pleurer, effondrée. Cela attira l’attention de plusieurs membres de sa famille, mais personne n’approcha. Ils devaient tous penser qu’ils discutaient de l’enlèvement de Félix.

— Désolé, Sweetie, je peux rien y faire.

Elle sécha rapidement ses larmes, avec une grâce et une élégance qui lui étaient propres — et qui étaient inégalables, franchement.

— Aide-moi à retrouver Félix ! Peut-être que tu as tort, peut-être qu’il y a une autre explication et qu’il te la fournira si on le retrouve en vie ! Je t’en prie, Canaille !

Il faillit craquer. Faillit.

— Je dois y aller, Sweetie.

Il se détourna de l’actrice rapidement, refusant de la laisser le culpabiliser, voire le convaincre de changer d’avis, et se dirigea droit vers sa voiture. Il ne conduirait pas jusqu’à la maison de son enfance, il n’était pas en état, mais il allait mettre un peu de distance entre lui et la famille de Félix. Son téléphone se mit à vibrer et il s’arrêta un instant pour lire le message qu’il venait de recevoir. Un message de Sugar. Une piste au sujet de Royal Kelensor.

Un moyen de retrouver Félix.

Ne fais pas demi-tour, Canaille, ne fais pas demi-tour, ne fais pas demi-tour…

Il ignora les supplications de son cerveau et retourna vers Sweetie, qui le regardait partir avec un désespoir qui se changea douloureusement en espoir en le voyant revenir vers elle.

OK, Canaille, donne-lui juste l’info que tu as, puis casse-toi chez toi et appelle Eclipse pour lui raconter à quel point tu es un idiot, à quel point elle avait raison et à quel point Félix Mardoner mériterait de se faire découper en rondelles.

— J’ai un tuyau au sujet de Royal Kelensor. Tu conduis ?

Si son cerveau avait des mains, il serait en train de gifler Canaille de l’intérieur, le Lapin en était persuadé. Sweetie sourit avec reconnaissance avant de hocher la tête et de lui prendre les clés qu’il lui tendait.

 

Sugar avait donné à Canaille l’adresse d’un bar en lui demandant de « ramener tout de suite ses fesses s’il voulait trouver Kelensor ». Le bar était un établissement dédié au proxénétisme des Rats, et le Lapin allait clairement se trouver en territoire ennemi. Il l’avait dit à Sweetie, qui avait noté l’information sans paraître particulièrement inquiète : elle voulait retrouver son petit frère et était prête à tout pour cela ! Le silence qui régnait dans la voiture était un peu lourd, alors Canaille décida de le briser — en espérant que cela calmerait son horrible migraine, une vengeance probable de son cerveau qui devait vraiment avoir des mains et le frappait de l’intérieur.

— Tu tires super bien à l’arc, où est-ce que tu as appris ça ?

— Sur un tournage. La bataille des drogués. Tu connais ?

Il mit quelques secondes à réaliser qu’il s’agissait du titre du film en question.

— Non, désolé. Ça parle de quoi ?

— De deux puissantes familles moyenâgeuses qui se battent pour le contrôle d’un champ de Golomboramors. De la drogue imaginaire. Je jouais l’un des rôles principaux, et j’étais censée tirer à l’arc. Le problème, c’est que j’étais super nulle, et je le suis toujours.

— Pas du tout ! Tu l’as dégommé, à l’aise !

— Je visais sa tête, Canaille. J’ai complètement foiré mon tir. Tu as eu de la chance de ne pas te prendre une flèche perdue, pour être honnête.

Ah. Effectivement : l’avant-bras du Dindon n’était pas vraiment au niveau de sa tête lorsqu’elle l’avait touché.

— Bref, j’étais nulle, mais comme j’étais la seule actrice un peu connue dans ce film, ils ont décidé de changer mon personnage. Au final, elle se battait à l’épée. Mais j’ai quand même gardé l’arc et les flèches. Quand Diamant et Angel se sont fait décapsuler la tête par Kelensor, je me suis rappelé de cet arc et des flèches, et je les ai ressortis de mes vieilles affaires. Dans le scénario original du film, les flèches sont taillées directement dans du bois et n’ont pas du tout de métal, donc j’ai pensé que ce matériel pourrait servir contre ce gros taré. J’ai eu raison.

— Ouais. Par contre…

— Je te laisserai l’arc quand on sera confronté à Kelensor, bien évidemment ! Je n’ai pas envie de te tuer par accident — voire de me tuer moi-même. Je suis tellement nulle que je serais capable de donner un effet rétro à ma flèche et PAF, adieu, Sweetie !

Canaille ne put s’empêcher de ricaner. Une mort vraiment débile, mais unique ! Il ne souhaitait pas cela à Sweetie, mais à Caesar, par exemple… Lui qui se croyait irrésistible le serait alors même pour ses propres flèches !

— Félix tient beaucoup à toi, Canaille. Je sais que tu es en colère contre lui et que tu crois qu’il vous a tous trompés, mais… je suis sûre qu’il y a une bonne explication. Je sais que Félix ne ferait jamais quoi que ce soit contre toi, et tu dois le savoir, toi aussi, vu ce qu’il s’est passé la dernière fois que vous vous êtes vus. Il y a un mois, je veux dire.

Canaille fronça les sourcils. Pourquoi cette soirée débile était si importante pour les Mardoner ?!

— Donc un Félix complètement déchiré qui m’insulte, c’est censé prouver qu’il ne ferait jamais quelque chose pour me nuire ?

La Chatte ne lui jeta qu’un bref regard, concentrée sur la route, mais la surprise avait totalement déformé les traits de son visage, même de profil.

— C’est ça qu’il s’est passé ?

— Ouais.

— Je vais lui botter le cul ! gronda Sweetie.

Sa frustration était telle qu’il y avait presque de la fumée qui sortait de ses oreilles.

— S’il reste quelque chose à botter, marmonna simplement le Lapin en réponse.

Il avait l’impression de rater quelque chose, mais il était trop crevé — fatigué ET à moitié mort, vraiment — pour y penser.

 

Sugar les attendait devant le bar, et elle paraissait bien trop satisfaite pour que Canaille ne sente pas une embrouille arriver. Il alla quand même à sa rencontre, Sweetie sur ses talons, et son pistolet à la main.

— J’adore ce que tu fais lança la Rate à Sweetie. T’es sûrement mon actrice préférée. Je vais vraiment avoir des regrets.

Sa phrase à peine terminée, trois Reptiles armés surgirent de nulle part, prêts à en découdre. Il y avait un Serpent aux écailles rouges nommé Flamme, un Crocodile aux écailles verdâtres nommé Gavy et un grand Crocodile que Canaille connaissait trop bien : Codyl Daraengar, fils de Crock Daraengar, l’ancien chef du Clan des Reptiles que Canaille avait tué l’année dernière et dont il avait offert la tête à Félix. Littéralement : le Chat l’avait, paraît-il, montée sur un mur de sa chambre. Il était évident que, malgré la perte de puissance du Clan des Reptiles tout entier, et la perte drastique d’influence de la famille Daraengar, Codyl voulait la peau de Canaille. Une vengeance bien méritée, qu’il avait l’intention de mener à bien sans se soucier des conséquences : les Lapins annihileraient les Reptiles si Canaille se faisait tuer par Codyl. Sauf si, bien sûr, le Reptile réussissait à ne pas être accusé de son meurtre. Le Lapin doutait cependant qu’il ait l’intelligence de couvrir son crime.

— Tu dois être surpris, Canaille Guerindor ! aboya alors le Garaendar, braquant son fusil à pompes vers sa tête.

Canaille roula des yeux. Il allait lui faire une diatribe de grand méchant de film, super !

— Bah, en fait, pas trop, non.

— Inutile de mentir, je sais que t’imaginais pas crever de ma main ! Tu croyais que t’allais vivre un peu plus longtemps, mais c’est pas le cas, car je suis là et j’aurai ta peau ! Je vais t’exploser la tronche et garder des morceaux de ta cervelle pour décorer ma baraque !

— Est-ce que vous êtes ivre ? demanda Sweetie avec une curiosité sincère.

— Il est pas bourré, il est juste con ! répondit à sa place le Lapin.

— Ferme ta gueule ! s’agaça aussitôt Flamme. Chef, on lui fait sauter la tête ?

— Ouais, carrément ! On va tellement te tirer dessus que ta tête va exploser comme une pastèque !

— Les pastèques n’explosent pas toutes seules, se crut obligée de préciser Sweetie.

— Putain, toute cette interaction est trop débile ! s’agaça Canaille.

Codyl gronda, fou de rage. Il n’eut pas le temps d’appuyer sur la détente, cependant, car le Lapin le prit de vitesse et réussit à se saisir de Sugar pour la prendre en otage — parce que pourquoi pas ?! Les trois Reptiles poussèrent des cris de rage, et Codyl attrapa Sweetie pour faire exactement la même chose.

— Rends-nous Sugar, gros bâtard !

— Vous êtes un véritable poète, Codyl, fit remarquer son otage très sarcastiquement.

Le Crocodile grogna et appuya le canon de son arme contre sa tête pour la faire taire. Canaille jura silencieusement : ils étaient dans une impasse, et il ne voyait pas comment agir en s’assurant que Sweetie ne serait pas blessée. Gavy et Flammes pointaient leurs armes sur lui, mais s’ils se décidaient à tirer, ils dégommeraient sans l’ombre d’un doute Sugar. Cette dernière dressa rapidement la même conclusion que le Lapin, et elle se mit à se débattre en insultant Canaille et les deux Reptiles de tous les noms. Il y eut une détonation qui fit sursauter tout le monde. Canaille et Sweetie se regardèrent, cherchant à savoir lequel d’entre eux avait été touché, mais ils paraissaient en pleine forme. Flammes, en revanche, s’effondra au sol en émettant des gargouillis répugnants, ayant visiblement pris une balle dans la gorge.

Profitant de la sidération généralisée de ses ennemis, Sweetie dégaina un couteau de poche et le planta dans la cuisse de Codyl, qui la lâcha en hurlant. Canaille en profita pour descendre Codyl en plein torse, alors que dans un même temps Gavy prenait lui aussi une balle sortie de nulle part et Sugar se dégageait de la prise du Lapin et partait en courant, sans un regard en arrière pour ses alliés blessés.

— SWEETIE !

La voix hautement reconnaissable de Caoutchouc retentit alors que Canaille ramassait les armes des Reptiles. La Lapine n’était pas seule, et son cousin grogna en reconnaissant son accompagnatrice armée d’un fusil : Ruina Ackentors.

— Qu’est-ce que vous foutez là, vous ?!

La lézarde fit claquer sa langue, désapprobatrice, alors que Caoutchouc se jetait dans les bras de Sweetie.

— Mon amour ! J’étais trop inquiète !

Elles s’enlacèrent tendrement et Canaille comme Ruina laissèrent échapper une exclamation attendrie, avant de se foudroyer du regard. Honnêtement, le Lapin ne savait même pas pourquoi il en avait après la Lézarde — qui venait de le tirer d’un mauvais pas. Elle était juste… trop louche et trop magouilleuse pour qu’il se montre aimable avec elle.

— Barrons-nous avant que Sugar revienne avec des renforts, grogna Canaille.

Il s’alluma une cigarette et s’attira ainsi un regard désapprobateur de Ruina, ce qui l’agaça encore plus. Les quatre Animaux consentirent cependant à partir, conscients que Canaille avait raison : Sugar allait revenir accompagnée. Alors qu’ils marchaient vers leurs voitures respectives — celle de Canaille et celle de Ruina —, la Lézarde expliqua avoir été prévenue de cette embuscade alors qu’elle était avec Caoutchouc. Ruina ne l’exprima pas de manière explicite, ce qui n’empêcha pas pour autant Canaille de comprendre ce qu’il s’était passé : un fidèle de Ruina intelligemment placé dans l’entourage de Codyl avait entendu parler de l’embuscade (bancale) organisée par Sugar et avait immédiatement prévenu la Lézarde — devant Caoutchouc, qui avait piqué une crise de nerfs en apprenant que son cousin préféré et le grand amour de sa vie étaient en danger. Elles étaient donc venues sur place armée du vieux fusil de Ruina, qui ne l’avait pas utilisé depuis plusieurs décennies.

— Vous avez de beaux restes, grogna Canaille alors qu’ils arrivaient à la voiture de la Lézarde. Tout le monde va savoir que vous avez tiré sur Codyl et ses copains, Ruina, qu’est-ce que vous allez faire ?

— Rentrer chez moi.

— Ils vont vous le faire payer !

— Les Daraengar sont loin d’être aussi influents qu’ils l’étaient il y a un an. J’ai, en revanche, acquis beaucoup, beaucoup de pouvoir.

— Assez pour retrouver Royal Kelensor ?

Ruina haussa un sourcil, ne s’attendant pas à cette question.

— Pourquoi le recherchez-vous ? Moustique m’a dit que vous n’étiez pas censé vous en occuper.

Canaille grimaça. Eclipse passait son temps à reprocher à Moustique de trop en dire à sa compagne — à juste titre, apparemment.

— Mon frère a été enlevé par Royal Kelensor et Canaille a la gentillesse de m’aider à le retrouver.

Ruina demeura pensive un instant.

— Je crois pouvoir le retrouver rapidement.

 

Félix n’était que douleur. Son corps était un nid de souffrance et sa tête lui faisait atrocement mal. Il avait l’impression qu’une colonie de chats géants dansait à l’intérieur de sa boîte crânienne. Royal Kelensor l’avait attaché à une chaise avec des chaînes, avant de s’installer à l’autre bout de la table rectangulaire qui occupait la majorité de l’espace de la petite cave où ils se trouvaient. Le Dindon avait lancé une vente aux enchères en ligne pour vendre la torture et la mort de Félix, et il y avait un nombre plutôt élevé de participants — ce qui étonnait sincèrement le Chat. Il ne se savait pas si détesté, vraiment pas.

— Monsieur Kelensor ?

Le Dindon l’ignora, trop occupé à surveiller son enchère.

— Monsieur Kelensor ?! Youhouuuu ?!

L’interpellé daigna glisser un regard interrogatif vers son prisonnier.

— Je m’ennuie terriblement.

— Oh, j’en suis navré, Félix. Vraiment, je ne suis même pas sarcastique ! Sache néanmoins que dans très peu de temps, il y aura un peu d’action !

— De quel genre ?

— Moi te torturant à mort, bien sûr !

Ah.

— Mais en attendant, je m’ennuie. Et j’ai terriblement faim. Serait-il possible de me donner quelques douceurs à manger ? Du chocolat, par exemple, avec un peu de cannabis dedans ?

— Non.

Voyant que Royal comptait recommencer à l’ignorer, Félix sentit un vent de révolte l’envahir.

— J’insiste très fortement, Monsieur Kelensor ! Je veux du choco-cannabis ! Tout de suite !

— Tu n’es clairement pas en position d’exiger quoi que ce soit, alors soit tu la fermes, soit je te cogne jusqu’à ce que tu te taises. Compris ?

La menace était énoncée avec légèreté, mais également avec une telle sincérité que Félix ne put que déglutir en hochant la tête. Royal sourit, satisfait, avant de reporter son attention sur son enchère.

—CHOCOOOOOOOOOOOOOOOCANNABIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIISSSSSSSSSSS !

Le Dindon sursauta et se boucha les oreilles par réflexe, ses tympans horrifiés par le hurlement horrible de Félix, à mi-chemin entre un feulement — très félin — et le bruit d’un pneu crissant sur le goudron — beaucoup moins félin.

— Je veux du CHOCOCANNAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAABISSSSSSSSSSSSSS !

La voix de Félix était un peu éraillée, mais il arrivait quand même à hurler. Il se racla la gorge, déterminé à faire valoir ses droits, et ayant besoin de choco-

cannabis pour se distraire, pour se rassurer et pour apaiser ses douleurs. Il décida alors d’improviser une petite chanson pour glorifier et réclamer du choco-cannabis. Il poussa donc la chansonnette avec passion :

J’adore, j’adore, j’adooooore…

Le Choco-cannabis !

Il vaut plus que de l’oooooor !

Je veux, je veux, je veuuuuuuux

Du Choco-cannabis !

Exauce mon vœuuuuuuuuuuuuuuu !

Pas de refuuuuuuuuuuuuuuus,

Donne-moi duuuuuuuuu…

Choco-cannabis !

Choco, choco, choco, choco, chocoooooo… CA-NNA-BIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIS !

Royal Kelensor n’avait jamais connu la peur. Jusqu’à maintenant. Il avait les yeux écarquillés et fixait Félix d’un air hagard, complètement abasourdi. Le Chat inspira profondément, et toussa un peu, ayant la bouche sèche et la gorge irritée. Cela n’allait pas l’empêcher de se remettre à chanter pour autant : il voulait du choco-cannabis.

— NON ! hurla Royal en comprenant qu’il allait s’y remettre. Je vais t’en donner, d’accord ?! Ne chante pas, je t’en supplie !

Rapidement, il récupéra le paquet de choco-cannabis dans les affaires qu’il avait confisquées à Félix, et il lui détacha un bras pour lui permettre de se servir sans contrainte. Le Dindon retourna ensuite s’asseoir et le scruta avec insistance.

— Merci beaucoup ! s’exclama Félix, satisfait.

Le tueur à gages poussa un soupir de soulagement et se détendit considérablement. Le silence régna ensuite, laissant le Chat savourer son choco-cannabis et le Dindon préparer sa mort.

 

Félix s’était mis à somnoler lorsque le Dindon le secoua violemment.

— Mon cher Félix, nous partons !

— Hein ? Où ?

Il n’était pas très éloquent, et se sentait un peu… indisposé. Il avait envie de vomir.

— J’ai un acheteur, Félix ! Quelqu’un qui veut une mort atrocement douloureuse pour toi ! Et il me paye vraiment très bien !

Vaguement, Félix sentit la panique l’envahir. Il se mit à rire, tout en se maudissant intérieurement.

— Tu vas bientôt beaucoup moins rire, répondit simplement le Dindon.

Il détacha ensuite Félix, qui n’essaya pas de se rebeller — il n’avait aucune chance et savait très bien que Royal allait le frapper s’il tentait de s’enfuir. Autant s’épargner un peu de douleur. Posant un pistolet sur sa tempe et le tenant fermement au niveau de la nuque, Royal le força à l’accompagner jusqu’à sa voiture. Un véhicule que Félix connaissait : il s’agissait de l’un de ses modèles de voiture autonome, sans conducteur nécessaire.

— Vous avez du goût, Monsieur Kelensor.

— Je dois avouer que je suis très fan de tout ce que tu produis ! Tes voitures, tes robots et tes dispositifs anti-balles.

Ah, oui. Le fameux dispositif de manipulation des champs électromagnétiques que Royal arborait à la ceinture. Une invention de Félix, qu’il avait perdue en jouant au beer-pong lors d’une de ses fêtes les plus mémorables — celle de Pâques 2022. Le patriarche des Mardoner ne se souvenait pas à qui il l’avait cédé — ni même clairement de ce qu’était ce dispositif, qu’il avait finalisé au cours de cette même fête après avoir travaillé dessus en étant en permanence… indisposé. Il s’en rappelait, maintenant, malheureusement.

Les deux Animaux montèrent à l’arrière. L’adresse donnée par Royal à la voiture n’évoqua rien à Félix, mais il crut reconnaître un quartier sous contrôle des Reptiles, ce qui était mauvais signe. Très mauvais signe.

— Qui veut ma mort ?

— Qui ne la veut pas serait une meilleure question !

Aïe. Félix grimaça, ayant envie de pleurer. Il n’était pas si détestable, si ?

— Qui a gagné l’enchère ? reformula patiemment le Chat.

— Un Daraengar. Il paraît que la tête de leur patriarche est accrochée au mur de ta chambre. J’ai du mal à y croire, mais les Reptiles y croient, eux !

Codyl n’était pas du genre à faire des enchères. Il devait s’agir d’un autre Daraengar, mais l’esprit embrumé du Mardoner ne parvenait pas à deviner lequel.

— Elle est accrochée au mur de ma chambre.

Royal ne masqua pas sa surprise, et il eut un sourire purement maléfique.

— Tu es décidément plein de surprise, Félix ! Quelle tristesse de devoir te massacrer comme je vais le faire !

Quelle tristesse, en effet.

L’adresse donnait sur un parking en plein air, bien glauque et presque abandonné à l’exception des quelques carcasses de voitures qui l’ornaient. Le lieu était familier au Chat, qui fronça les sourcils alors que Royal le traînait hors de sa voiture. Le Dindon regarda tout autour de lui avec méfiance, visiblement étonné que l’acheteur ne soit pas là.

— JE SAIS ! hurla brutalement Félix, le faisant sursauter (une fois de plus). Ce parking était dans BEAUCOUP TROP DE FLINGUES POUR TROP PEU DE TIREURS! La scène de tuerie vers la fin ! Sweetie a trop géré cette scène, j’adore ce film, j’adore ma sœur !

— J’adore ce film, moi aussi. Ta sœur crève l’écran, franchement.

Félix sourit, toujours ravi d’entendre des compliments sur Sweetie. Un son fut capté par ses oreilles, et il les bougea avec curiosité. Il avait toujours eu une très bonne ouïe, et il était suffisamment curieux — même au bord de se faire massacrer — pour chercher l’origine du drôle de bruit qu’il entendait. Un bruit familier.

— Vous entendez cela, Monsieur Kelensor ?

Le Dindon cligna des yeux. Non, il n’avait pas entendu « ça ».

— Ce bruit ! on dirait que quelqu’un bande un arc et s’apprête à nous tirer dessus ! ça vient de derrière cette carcasse de camionnette !

Royal fit volte-face, au moment où une flèche partait en sa direction. La trajectoire était parfaite et la flèche se serait fichée en plein dans l’œil droit du Dindon si Félix n’avait pas eu la brillante idée de le prévenir. Résultat : le Gallinacé l’évita de peu, et la flèche ne toucha rien du tout. Il y eut un léger crépitement et, faisant usage de l’appareil gracieusement offert par le Chat, le Dindon fit décoller la carcasse de camionnette sur le côté, laissant apparaître Canaille et Sweetie. Le premier était armé d’un arc tandis que la seconde tenait des flèches. Les deux Animaux étaient sous le choc, n’ayant pas tout compris à ce qu’il venait de se passer.

— FÉLIX !

Sweetie paraissait vraiment, vraiment mécontente.

Oups.

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