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Akalivan – Chapitre 2

Ils avaient mis plus de cinq jours à rallier Kalasol, puis dix heures pour arriver à Kalandra, une ville située au nord du Royaume. Kalasol, comme Endravioss, présentait la particularité d’être désertique au sud de son territoire, et glaciaire au nord. Il faisait donc très froid à Kalandra, et Sadidiane était particulièrement sensible, ayant grandi dans un royaume désertique et sec. Sadidiane et Ademon avaient discuté pendant leur voyage, l’Okalisto expliquant notamment à la jeune fille ce qu’il savait des Akamorrs, mais aussi des Grandes Prêtresses, et des Okalistos. Il avait pu découvrir une jeune fille très intelligente et très curieuse, avide de savoir. Avide de vivre, tout simplement. Elle lui avait posé des tas de questions sur les animaux sauvages, les Zones Inhabitées qu’il avait pu explorer et elle s’était montrée particulièrement passionnée par l’aviation. Elle était sûre et certaine qu’un jour, ils réussiraient à construire un avion sûr. Les avions qui existaient pour l’instant étaient rares, utilisés uniquement par les gouvernements en cas de situation d’urgence, et très peu sûrs. Il y avait de nombreuses créatures et perturbations magiques qui rendaient les voyages par les airs quasiment impossibles, et les crashs étaient innombrables.

Malgré lui, l’Okalisto s’était un peu attaché à cette gamine touchante, et il n’avait pas vraiment envie de la livrer au CMCM. Il n’avait malheureusement pas le choix : le bien-être de l’humanité tout entière en dépendait. Sadidiane semblait s’être attachée elle aussi à son accompagnateur bourru, beaucoup plus gentil qu’elle ne l’avait pensé au premier abord. C’est dans une zone assez pauvre de la ville qu’Ademon conduisit Sadidiane, la guidant jusqu’à un bâtiment à la façade correcte — contrairement aux autres bâtiments de la rue. C’était un petit immeuble avec trois étages, et lorsque l’Okalisto ouvrit la porte, qui n’était pas verrouillée à clé, Sadidiane fut très surprise de se retrouver dans un vaste bureau de médecin, avec table d’examen, lit d’infirmerie, et beaucoup de matériel médical.

— Vous êtes médecin, en plus ?

Cela tira un léger rictus amusé chez l’homme taciturne.
— Je vis chez quelqu’un qui est médecin.

— Je croyais que vous n’aviez pas d’amis.

Il émit un léger grognement. Il se souvenait avoir dit cela à l’adolescente pendant leur voyage en train. Et il ne le regrettait pas : c’était vrai. Il n’avait aucun ami. Ni aucune famille.

— Ce n’est pas un ami. C’est juste quelqu’un de confiance.

Elle haussa un sourcil, signifiant clairement qu’elle ne saisissait pas la nuance, mais il l’ignora. Venant des escaliers visibles dans le fond, un homme débarqua dans la pièce et resta un instant tétanisé. C’était un homme d’environ trente-cinq ans, à la peau blanche, avec des cheveux blonds, des lunettes rectangulaires et des yeux verts d’une grande douceur. Il était assez grand et mince, et il dégageait une aura bienveillante. Son visage s’illumina littéralement après une seconde d’arrêt.

— Ademon ! Tu es de retour !

Il avança vers lui et prit seulement conscience de la présence de Sadidiane. Il lui fit un sourire qui la mit instantanément en confiance, sans aucune raison rationnelle à cela.
— Bonjour ! Je suis Dorelan Astemien.

—Sadidiane Wakenters.

— Elle va rester ici quelque temps. Tu as de la place ?

— Bien sûr ! Je vais lui préparer une chambre ! Viens avec moi, Sadidiane.

Elle comprenait pourquoi l’austère Ademon avait qualifié Dorelan de personne de confiance. Elle aussi avait confiance en lui, alors qu’elle ne le connaissait absolument pas. Elle le suivit sans discutailler, laissant Ademon seul au milieu du cabinet médical. Dorelan allait probablement installer Sadidiane dans l’une des chambres du troisième étage. Le troisième étage était un appartement avec tout le confort moderne, et trois chambres d’amis. Seule l’une d’entre elles était occupée, par Ademon, et ce depuis des années. Le deuxième étage, l’appartement de Dorelan, ne comportait qu’une seule chambre, ayant été aménagé différemment, notamment pour laisser le médecin accumuler des tonnes d’ouvrages rangés avec minutie dans des rayonnages.

— Tu ne l’emmènes pas au Conseil, finalement ?

— Je préfère la garder sous ma protection en attendant le rituel de la Lune Bleue. Des Akamorrs en ont après elle.

Dorelan hocha la tête, pensif.

— Tu devrais verrouiller la porte de ce bâtiment, Dorelan. Il y a une sonnette si quelqu’un veut une consultation.

— J’ai oublié, répondit le médecin avec un pauvre sourire.

Il mentait. Ademon savait qu’il laissait sa porte d’entrée volontairement ouverte pour que tout le monde puisse venir à tout moment solliciter ses compétences de docteur, et cela l’agaçait. Pourquoi Dorelan était-il si confiant et naïf, alors que l’existence lui avait démontré plus d’une fois à quel point les humains étaient profondément mauvais ?

— Tu devrais peut-être aller la voir, elle a l’air déprimée.

— Je ne vois pas comment lui remonter le moral. Sa vie va bientôt s’arrêter, et j’en serai la cause majeure.

La compassion dans les yeux de Dorelan était difficile à encaisser, et Ademon lui tourna le dos en émettant un grognement. Encore un. Bientôt, ce serait sa seule manière de s’exprimer. Sans un mot de plus, il daigna monter dans son appartement, et il toqua au hasard à l’une des deux chambres inoccupées. Il ouvrit la porte pour vérifier qu’elle était vide, et tomba sur la jeune fille, assise sur son lit, fixant le mur d’un air vide. Lorsqu’il lui demanda si tout allait bien, elle prit conscience de sa présence.

— Pas vraiment, répondit-elle. J’ai l’impression… de n’avoir rien fait de ma vie. D’avoir raté des tas de choses que je ne pourrais bientôt plus jamais faire…

Il soupira avant de venir s’asseoir à côté d’elle. Il la comprenait. Lui-même avait été désigné Okalisto à neuf ans, et il y avait des millions de choses qu’il n’avait jamais pu faire, et ne ferait jamais. Des rêves qu’il ne pourrait jamais accomplir, ni même poursuivre.

— Tu devrais faire une liste.

— Une liste ?

— Les choses que tu as le plus envie de faire et de découvrir. Je ne peux pas te promettre de réaliser tous tes souhaits, mais je t’aiderai autant que possible.

— Vous feriez ça ?

— Je viens de te le proposer.

Il essayait d’être gentil, mais échouait toujours. Cela ne troubla pas la jeune fille, qui lui sourit alors que sa tristesse diminuait.

— Je vais faire une liste !

En redescendant au niveau du cabinet médical, Ademon trouva Dorelan installé à son bureau, occupé à lire un épais livre de médecine. Son visage s’illumina une fois de plus en voyant Ademon, qui n’eut aucun mal à réprimer un petit sourire affectueux. Dorelan était la seule personne au monde qui paraissait toujours innocemment heureux de le voir.

— Tu as trouvé des informations sur ce dont je t’ai parlé ?

Dorelan perdit son sourire et lui fit signe de venir s’asseoir face à lui. Cela faisait penser à une consultation médicale, ce qui mit l’Okalisto mal à l’aise, mais il chassa rapidement cette pensée pour écouter son interlocuteur.

— Oui, et il semblerait que tu avais raison, au moins partiellement. Il y a effectivement une tendance à ce que les Okalistos meurent de plus en plus jeune au fur et à mesure que l’on approche du changement de Grande Prêtresse.

— Mon prédécesseur est mort à 37 ans. Je ne vais pas tarder à le rejoindre.

Dorelan le regarda d’un air choqué avant de froncer les sourcils, hautement mécontent.

— C’est une tendance, pas une prédiction ! cracha-t-il avec une agressivité non coutumière.

— Je plaisantais, ne t’énerve pas.

Dorelan se contenta de crisper les mâchoires pour signifier clairement qu’il ne trouvait pas sa plaisanterie très amusante, et l’Okalisto demeura impassible.
— Comme je le disais avant tes bêtises, il y a une tendance à ce que l’espérance de vie des Okalistos diminue au fil du temps. Cette tendance s’étale sur un siècle, avec les Okalistos qui vivent le plus longtemps étant ceux qui sont arrivés juste après une nouvelle Grande Prêtresse. Et à l’inverse, plus on approche de la fin de la Grande Prêtresse, plus les Okalistos semblent mourir jeunes. Ce n’est cependant qu’une tendance, je le répète : il y a plus d’une exception. Je n’ai pas d’explications à fournir sur le sujet, il faudrait que je fasse plus de recherches…
— C’est parce que l’on est de moins en moins puissant.

— Pardon ?

— Plus le temps passe, plus les Okalistos perdent en puissance. Il y a soixante-douze ans, l’Okalisto en place a vaincu un Kraken, après un combat long et difficile. Je ne pourrais même pas imaginer tenir plus de deux minutes face à un Kraken, Dorelan. Et je peux dire la même chose avec certitude au sujet de mon prédécesseur et de l’Okalisto précédent. Certes, l’Okalisto d’il y a soixante-douze ans était peut-être particulièrement puissant et doué, mais la magie qu’il a déchainée à l’époque surpasse de très loin ce que j’ai pu faire au cours de ma carrière. Même à mon meilleur niveau.

— Tu… tu manques peut-être d’expérience…
— Il n’avait qu’un an de plus que moi, Dorelan. Et je n’ai pas entendu parler d’autres exploits de sa part, d’autres combats de cette ampleur. Il n’était pas spécialement expérimenté.

— Tous les Okalistos obtiennent les mêmes dons et les mêmes pouvoirs lorsqu’ils sont choisis, Ademon.

— Et pourtant, nous avons tendance à mourir plus jeunes lorsque l’on approche de la fin de la Grande Prêtresse. Il y a là une étrange et inexplicable corrélation, tu ne trouves pas ?

Dorelan resta silencieux.

— Tu en as parlé au Conseil ?

— J’ai essayé. Ils ont refusé de m’écouter. Ils disent que je suis paranoïaque, ou que j’essaye de justifier mes échecs — passés comme futurs. Ce qui n’est pas le cas, au cas où tu te poses la question.

— Je ne sais même pas pourquoi tu précises, répliqua assez sèchement le médecin.

Apparemment, il l’avait vexé. Voire même… blessé.

— Merci pour ton aide, Dorelan. Je vais me coucher, maintenant.

Il n’attendit pas de réponse avant de partir, ayant envie de se laver et de se reposer un peu.

Dorelan buvait tranquillement son café, mal réveillé. Il avait très mal dormi, et n’était même pas encore habillé pour prendre ses fonctions de médecin. Il était pourtant déjà six heures du matin. Il cligna des yeux à répétition lorsqu’Ademon descendit les escaliers qui menaient à son étage et débarqua au milieu de la pièce à vivre, tout habillé et déjà prêt pour une journée de plus. Les trois étages n’étaient pas exactement trois appartements séparés comme dans un immeuble classique, ce qui signifiait qu’Ademon — et maintenant Sadidiane — était obligé de passer par l’appartement de Dorelan pour rentrer chez lui. Cela ne dérangeait pas du tout le médecin, qui était toujours heureux de le voir, même pour quelques secondes.

— Sadidiane m’a fait sa liste, et je vais avoir besoin d’aide. La liste de choses qu’elle souhaite faire avant de rejoindre le CMCM, précisa-t-il devant l’air perdu de Dorelan. Elle en a listé dix, et ce n’est honnêtement pas ce à quoi je m’attendais pour une jeune fille de quatorze ans…
— Ce qui est positif ou négatif ?

— Les deux, je dirais. Certaines de ses demandes vont être très faciles à combler, mais certaines me paraissent impossibles à satisfaire…

— Impossible ?

— Monter à dos de griffon. Ce sont des créatures aussi sauvages que puissantes, très dangereuses et impossibles à approcher pour des humains.

— Essaye de trouver un compromis. Sois honnête avec elle, dis-lui que c’est impossible, mais que tu peux l’emmener observer des griffons de près, par exemple.

Cela fit sourire Ademon. Dorelan, qui portait sa tasse à ses lèvres, suspendit son geste, observant son locataire sourire.

— Tu es génial, Dorelan !

Le médecin sentit le rouge lui monter aux joues, sensible à la flatterie.

— Je sors. Sadidiane mange son petit-déjeuner, est-ce que tu pourras t’occuper d’elle si elle te sollicite ?

Dorelan hocha simplement la tête, incapable de parler.

J’ai rajouté une carte avec le trajet effectué entre le chapitre 1 et le chapitre 2 (ils sont partis d’Ostirlan pour aller à Kalandra). Je vais poster une nouvelle carte à chaque déplacement, pour que vous puissiez suivre le trajet au fur et à mesure.

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