Sadidiane était assise sur le lit austère que le CMCM lui avait prêté. Elle était dans une petite chambre qui avait tout de la cellule, et son seul confort était une petite salle de bains attenante, très rudimentaire, mais munie de toilettes propres. Elle attendait avec angoisse le rituel de la Lune Bleue, qui se déroulerait dans quelques heures, et elle repensait aux événements de la veille.
Elle était à peine réveillée lorsque les Akamorrs avaient surgi brutalement dans la ville. Dès que l’alarme d’Aorelie avait retenti, Dorelan et Sadidiane avaient tenté de fuir, mais il y avait eu une explosion magique et l’adolescente avait perdu connaissance. Lorsqu’elle s’était réveillée, plusieurs minutes plus tard, elle était dans un véhicule du CMCM et le chaos régnait dans la ville. Rapidement, de manière peu sympathique, on lui avait expliqué que les Akamorrs venaient pour la tuer, qu’elle allait être mise en sécurité au siège du Conseil et qu’elle n’avait pas vraiment son mot à dire. Lorsqu’elle avait demandé des nouvelles de Dorelan, on lui avait expliqué qu’il avait été blessé par un Akamorr et qu’il était déjà à l’hôpital. Lorsqu’elle avait parlé d’Ademon, on lui avait dit qu’il n’était pas rentré de sa mission urgente. On l’avait ensuite cloitrée ici, la laissant s’inquiéter seule pour Dorelan et pour l’Okalisto — elle espérait vraiment qu’il n’était pas allé affronter un autre Dragon. Qu’il allait bien, qu’il allait venir la voir, qu’il lui annoncerait que Dorelan était en pleine forme, et même qu’il serait présent lors du rituel de la Lune Bleue. Elle avait besoin de son soutien. Elle avait peur.
Lorsqu’elle entendit la porte s’ouvrir, elle écarquilla les yeux et jeta un léger coup d’œil à l’horloge pendue au mur. Une vieille horloge, sinistre, au tic tac angoissant et désagréable. Il n’était que dix-huit heures. Le rituel de la Lune Bleue se tiendrait à minuit. Il était bien trop tôt. Peut-être venait-on lui déposer à boire et à manger ? C’était quelque chose que le CMCM avait oublié de faire, préférant lui vendre du rêve sur le gigantesque temple souterrain qu’elle aurait bientôt le droit de rejoindre avant de l’enfermer à clé dans sa petite cellule glauque. Elle resta un instant bouche bée en découvrant Ademon sur le pas de sa porte. Il paraissait aller relativement bien, même s’il y avait quelque chose d’étrange dans son regard.
— On y va.
Il se détourna ensuite, et Sadidiane lui emboita le pas malgré sa confusion.
— On va où ?
— Loin d’ici.
— Quoi ? Mais le rituel… Oh, qu’est-ce qu’il s’est passé ?!
Il y avait des corps inanimés qui jonchaient le long couloir qu’ils étaient en train de traverser. À cette vision, Sadidiane sentit la panique s’insinuer en elle, mais le calme d’Ademon était rassurant.
— J’ai endormi leurs esprits. C’est une faculté d’Okalisto qui fonctionne très bien sur les non-magiciens.
Et par chance, la majorité des personnes présentes aujourd’hui au siège du Conseil Mondial du Contrôle de la Magie ne pratiquait pas de magie. Au niveau des étages supérieurs, en tous cas. Ademon avait senti la présence d’un nombre important de magiciens — ou de quelques magiciens très puissants — bien plus en profondeur, dans les sous-sols du Conseil. Là où devait se tenir le rituel de la Lune Bleue, qu’ils devaient être en train de préparer. Il avait fait bien attention à ne pas toucher leurs esprits pour ne pas les alerter de sa présence, et il était allé droit vers le lieu de détention de Sadidiane. Il savait qu’il y avait des cellules « confortables » au siège, et il n’avait pas mis longtemps à trouver l’adolescente.
Ils montèrent à l’étage du dessus, qui contenait de nombreux laboratoires de recherches assez étranges, qu’elle avait déjà traversés la veille. Il n’y avait personne qui y travaillait, aujourd’hui, et l’ambiance était particulièrement glauque. À mi-chemin de la prochaine volée de marches, elle s’immobilisa, imitée par son accompagnateur qui lui demanda immédiatement de se remettre en route.
— Pourquoi est-ce qu’on part, Ademon ?
— Tu dois me faire confiance.
— C’est le cas, mais… Je ne veux pas faillir à mon devoir ! Je veux faire ce qui doit être fait pour préserver l’humanité, je ne veux pas fuir !
Il la fixa d’un air étrange avant de se décider à lui répondre.
— Le rituel de la Lune Bleue n’est pas ce que le Conseil prétend. Ils… veulent te tuer et voler tes pouvoirs.
Il y eut un léger silence, et Ademon sut qu’il n’avait pas exposé correctement les choses.
— Quoi ?
La voix de Sadidiane n’était qu’un murmure. La pauvre était sous le choc.
— C’est ce qu’ils ont toujours fait. Le soir du rituel de la Lune Bleue, ils tuent la Grande Prêtresse et conservent sa magie pendant cent ans. Lorsque la magie est épuisée, ils recommencent le processus avec la nouvelle Grande Prêtresse du Monde.
Il fit une pause devant le regard horrifié de l’adolescente.
— Il faut qu’on parte, Sadidiane. Vite.
Ils n’eurent pas le temps de se remettre en route, car un véritable déluge magique s’abattit soudainement sur Ademon. Il poussa Sadidiane sur le côté pour qu’elle soit épargnée par l’attaque, et il disparut sous une chape de magie constituée des six magies élémentaires : la Foudre, le Feu, l’Eau, la Terre, la Glace et le Vent. Sadidiane se releva rapidement et fixa d’un air désespéré ce triste spectacle, ne sachant pas quoi faire. Elle était impuissante. La magie finit par se dissiper, laissant apparaitre l’Okalisto à genoux, luttant visiblement pour ne pas perdre connaissance. L’adolescente vint immédiatement auprès de lui.
— La vie d’un seul être humain est-elle réellement plus importante que l’entièreté de l’humanité ?
Elle fit volte-face alors qu’Emilien Astrovian faisait son apparition. Dès qu’elle vit cet homme inconnu pour elle, Sadidiane sut qu’il était magicien, et qu’il était très puissant. Ce n’était pas un magicien ordinaire, et sa simple présence était insupportable pour la jeune fille. Elle avait mal à la tête. Elle avait l’impression que l’on exerçait une pression anormale sur son crâne et qu’il allait finir par exploser.
— Qui êtes-vous ?!
— Je suis Emilien Astrovian. Le chef du Conseil Mondial du Contrôle de la Magie. Il est donc de mon devoir de protéger l’humanité à n’importe quel prix. Même si cela signifie abréger ton existence, jeune fille.
Elle fronça les sourcils. Le chef du CMCM faisait de la magie ? Et il voulait la tuer pour le bien de l’humanité ? Rien de tout cela n’avait le moindre sens. Elle sursauta lorsqu’un déferlement magique, très similaire à celui que venait d’essuyer Ademon, se déversa cette fois-ci sur Emilien Astrovian. Lorsqu’Ademon se releva difficilement, les mâchoires serrées, le regard concentré, Sadidiane comprit qu’il avait attaqué leur vis-à-vis, en dépit de son état de faiblesse évident.
— Il faut que tu partes, souffla-t-il à la jeune fille.
Chaque syllabe était une épreuve, tant son attention était focalisée sur sa magie.
— Pas sans vous !
— Je vais le retenir un peu et je te rejoindrai.
Il était confiant, et cela rassura aussitôt Sadidiane. Elle cligna des yeux lorsqu’une magnifique licorne faite de magie dorée se matérialisa devant elle.
— Tant qu’elle sera avec toi, je serai avec toi. Maintenant, va.
— Vous promettez de me rejoindre après ?
— C’est promis.
La jeune fille consentit enfin à obéir et se mit à courir derrière la licorne, disparaissant rapidement de la vue d’Ademon. Quelques secondes plus tard, la magie qui attaquait Emilien Astrovian se dissipa, l’Okalisto étant allé au bout de ses forces. S’il n’avait pas été aussi fatigué, il aurait laissé échapper un rire nerveux en découvrant que le chef du Conseil Mondial du Contrôle de la Magie était indemne et le regardait avec une sérénité malsaine.
— Qu’est-ce que les Akamorrs t’ont dit, Daraniel ?
Il tiqua sur l’usage de son véritable nom, mais il répondit quand même. Plus Astrovian aurait envie de parler, mieux ce serait pour Sadidiane.
— Tout ce qu’il y avait à savoir.
— Mais encore ?
— Ils m’ont expliqué que l’humanité était allée trop loin. Si loin que le monde avait été propulsé au bord de la destruction. Les guerres, la surexploitation des ressources naturelles, la monétisation universelle des denrées, des matières premières et des services, la pollution, les armes chimiques et biologiques, l’usage abusif de la magie et le détournement de sa nature même pour servir les intérêts humains… L’humanité est allée trop loin. Akalivan et ses créatures magiques se sont rebellées avant qu’il ne soit trop tard, avec l’aide de certains hommes qui avaient encore une conscience ; les Akamorrs. C’est ainsi que la planète a pu survivre.
— Au prix de milliards de morts. Au prix de l’humanité tout entière, si nous n’étions pas intervenus.
Il fit une pause pour donner plus de poids à ses mots.
— La Grande Prêtresse est une arme, reprit-il ensuite. Une arme magique, née de la planète elle-même, destinée à canaliser sa puissance et celle des êtres magiques la peuplant afin de détruire l’humanité. Une extermination, Ademon. C’est ce vers quoi nous allions.
— Alors vous avez trouvé la première Grande Prêtresse et vous l’avez sacrifiée au cours d’un rituel morbide pour vous approprier sa puissance. Une gamine, plus jeune encore que Sadidiane.
Ils le dégoûtaient. L’humanité le dégoûtait.
— Cette puissance, reprit-il en demeurant maitre de lui-même, vous l’avez stockée et redistribuée à vos fichus Okalistos pendant cent ans. La magie que je possède, ces incroyables facultés qui m’ont été conférées, elles ne viennent pas de l’union des forces magiques de l’humanité. Elles viennent de la précédente Grande Prêtresse. C’est pour ça que je suis aussi faible comparé à certains de mes prédécesseurs : la réserve de magie de la prêtresse de mon cycle était quasiment épuisée lorsque j’ai été nommé.
— Nous avons fait ce qui était nécessaire pour la survie du plus grand nombre.
— Vous avez massacré des gamines pour vous approprier leur puissance, tout ça pour sauver une humanité qui ne le méritait même pas. Si vous pensez vraiment que c’était nécessaire, que c’était juste, alors pourquoi vous vous cachez ? Pourquoi ne pas dire aux Okalistos d’où viennent vraiment nos pouvoirs ? Pourquoi inventer toute une histoire sur le « protecteur » et la « gardienne » de l’humanité qui se doivent de rester chastes et purs ?
Emilien esquissa un sourire qu’Ademon détesta immédiatement.
— Parce que tu crois vraiment que les Okalistos n’étaient pas au courant ? Ils l’ont toujours été, comme les membres de l’Escouade Magique.
Silence.
— Pourquoi…
— Parce que tu n’es pas digne de confiance, Daraniel. Tu ne l’as jamais été. J’étais très mécontent de ta nomination, mais j’ai décidé de te laisser une chance. Parfois, les éléments les plus décevants peuvent s’avérer pleins de bonnes surprises. Je me souviens d’une conversation que nous avons eue sur le sujet, peu après que tu aies fauté. Je me souviens t’avoir dit que tu pouvais faire de tes erreurs une force, et que tu pouvais faire du bien-être de l’humanité ton seul et unique centre d’intérêt. Quel dommage que tu aies échoué.
Nouveau silence.
— Je n’ai jamais eu cette conversation avec vous, répondit finalement l’Okalisto. C’était avec…
Il s’interrompit, prenant brutalement conscience de la réalité. Cette conversation, il l’avait eue lorsqu’il avait quinze ans, mais pas avec Emilien Astrovian. Il l’avait eue avec Valiriam Estimiar, son prédécesseur, un homme qui lui ressemblait tellement qu’Ademon avait pensé qu’ils étaient père et fils. Un homme qui était son sosie exact, si l’on faisait exception de la couleur de ses yeux, de celle de ses cheveux, de sa pilosité et de sa coiffure.
— Vous vous êtes succédé à vous-même, souffla finalement l’Okalisto. Depuis combien de temps ?
— Depuis cinq siècles. J’ai toujours été le chef du Conseil Mondial du Contrôle de la Magie, depuis le premier Okalisto. Il fallait quelqu’un pour s’assurer que le processus de maintien de l’humanité se poursuive correctement, et j’ai été choisi pour être cette personne. Moi, Ademon Delisian, dont le nom est transmis d’Okalisto en Okalisto.
Ademon — ou plutôt Daraniel — n’était même pas surpris que cet homme ait eu le narcissisme suffisant pour donner son propre nom aux soi-disant héros de l’humanité qu’étaient censés incarner les Okalistos.
— Vous vous êtes servi dans les pouvoirs des Grandes Prêtresses, vous aussi.
— Pour devenir immortel et acquérir cette puissance magique que tu as forcément ressentie.
Le bâtiment trembla légèrement, et Ademon tourna mécaniquement la tête vers la sortie empruntée un peu plus tôt par Sadidiane.
— Elle ne va pas tarder à nous rejoindre, lança alors Emilien. Victorion va se charger d’elle.
Victorion Salakers, évidemment.
— C’est parce que vous avez toute confiance en votre champion que vous perdez votre temps à me faire la conversation ?
Il eut un léger rire.
— Je dirais plutôt que c’est parce que tu m’intrigues. Je n’ai jamais connu d’Okalisto semblable à toi, Daraniel. Nous avons tous eu de la chance que tu aies été nommé en fin de cycle. Si tu n’avais pas été aussi faible, tu aurais pu représenter une menace majeure pour nous.
Il marqua une nouvelle pause, et fronça les sourcils, comme si une pensée troublante venait de lui traverser l’esprit.
— Tu es faible, c’est indéniable, et pourtant… Tu as vaincu un Titan Rocailleux, et un Dragon. Tu les as vaincus, avec une certaine facilité de surcroit, et tu as survécu. J’ai du mal à comprendre comment cela a pu se produire. Tu es trop faible pour pouvoir vaincre de tels adversaires. Comment as-tu pu réaliser de tels exploits ? Je ne comprends pas…
Il semblait pensif, et un peu agacé. L’Okalisto demeura silencieux. Même s’il avait voulu lui répondre, il n’aurait pas su quoi lui dire. Il n’en savait rien.
— Vous êtes juste un monstre qui se prend pour un héros.
Emilien perdit un peu de sa superbe, visiblement choqué par la remarque brutale et inattendue de son vis-à-vis.
— Je suis un héros. Comme tous les membres du Conseil Mondial du Contrôle de la Magie. Nous sauvons des vies. Nous sauvons l’humanité.
— Parce que vous croyez que l’humanité a envie d’être sauvée ainsi ?
— Bien sûr que oui. Pas toi ?
Il y avait une sincère incompréhension chez le chef du CMCM.
— Tu crois vraiment que l’humanité refuserait qu’on lui offre sa survie sur un plateau juste parce qu’il est immoral de torturer et tuer une gamine tous les cent ans ? Daraniel, enfin, dans quel monde vis-tu ? À ton avis, pourquoi les Akamorrs n’ont-ils jamais tenté de dire la vérité au reste du monde ?
— Et pourquoi vous ne leur dites rien, si vous êtes si sûr d’avoir leur soutien ?
— Pour épargner leurs consciences. C’est mieux de ne pas savoir que de devoir admettre que l’on préfère sa survie et celle de ses proches à la survie d’une gamine inconnue, même si cette préférence est des plus compréhensibles.
— Si c’est ce que vous pensez de l’humanité, pourquoi vouloir la sauver ?
— Parce que je ne peux pas condamner la nature humaine. Les humains sont comme ils sont, qui suis-je pour les juger ?
Il parlait comme s’il n’était pas lui-même humain. Il était dénué de scrupules, et Ademon n’éprouvait que du mépris pour cet être vide et avide de pouvoir.
—Tu sais, en dépit de mes efforts destinés à épargner l’humanité et sa conscience, il y a beaucoup de personnes qui savent ce qu’est réellement le rituel de la Lune Bleue. En plus des Okalistos et de l’Escouade Magique, tu peux considérer que la majorité des employés du Conseil sont au courant, et en ont informé leurs proches. Les dirigeants des douze royaumes savent, eux aussi, comme certains membres de leurs gouvernements. Parmi la population elle-même, il y a de plus en plus de gens qui se questionnent sur le sujet. Beaucoup de monde sait, Daraniel, mais personne ne veut changer les choses. Tous savent que si nous mettons un terme au rituel de la Lune Bleue, l’humanité sera perdue. Sans le sacrifice de la Grande Prêtresse, nous serons annihilés. J’y étais : j’ai vu ce que le monde nous réserve. Crois-moi lorsque je t’affirme que la mort de la Grande Prêtresse n’est qu’un petit sacrifice.
— J’imagine que c’est le moment où nous réalisons tous les deux que nous ne pourrons jamais nous comprendre.
Emilien le fixa un instant froidement.
— Tu as toujours été faible, Daraniel.
— Je crois qu’on s’est tout dit, Ademon. Finissons-en.
— Tu as raison.
Un halo magique apparut autour du chef du Conseil Mondial du Contrôle de la Magie, et les murs se mirent à trembler devant sa puissance qui se dévoilait ainsi. L’Okalisto se sentit tomber à genoux, oppressé par une force supérieure contre laquelle il ne pouvait même pas essayer de lutter. Il était trop fatigué. Trop faible.
— Quels seront tes derniers mots ?
Contre toute attente, l’Okalisto sourit, et cela provoqua immédiatement un grand mécontentement chez son interlocuteur.
— Tes derniers mots avant de mourir, insista durement Emilien.
— Vous placez beaucoup trop de confiance en Victorion Salakers.
Sadidiane suivait la licorne magique au pas de course pour ne pas se faire distancer. Le faux animal se chargeait de neutraliser tous les ennemis qui croisaient leur route, utilisant diverses formes de magie pour cela. C’était vraiment une belle réalisation, et l’adolescente se sentait parfaitement rassurée grâce à elle. Lorsqu’elle arriva au niveau du hall d’entrée du siège, la jeune fille hésita à attendre Ademon ici, mais la licorne se jeta vers la sortie et elle lui emboita le pas. Elle bondit en arrière lorsqu’un mur d’Eau magique tournoyante s’éleva brutalement devant elle.
— Tu pensais pouvoir fuir, prêtresse ?
— Qui êtes-vous ?
— Je suis Victorion Salakers. Un membre émérite de l’Escouade Magique.
L’homme, qui avait surgi de nulle part, se tenait à présent entre elle et la sortie. La licorne l’attaqua avec un laser de magie neutre, sans élément particulier, mais il le dissipa d’un revers de la main sans aucune difficulté.
— Il va falloir plus qu’un joujou d’Okalisto pour me vaincre.
Sadidiane fronça les sourcils tout en analysant les options qui s’offraient à elle. Pour être honnête, elles étaient maigres. Inexistantes, même. Elle ne savait pas utiliser ses pouvoirs de Grande Prêtresse, et ignorait d’ailleurs si elle pouvait les utiliser activement pour se battre. La licorne d’Ademon ne pourrait jamais vaincre le plus puissant membre de l’Escouade Magique. Et discuter ne paraissait pas être une option viable. Si l’homme lui était apparu plus fiable et moins odieux, elle aurait essayé de lui dire qu’on voulait la tuer lors du rituel de la Lune Bleue, en espérant peut-être tomber sur une bonne âme. Là, elle n’essaierait même pas. Il était au courant, c’était évident, et il ferait tout pour l’envoyer à l’abattoir. Son rayon de magie aquatique partit si brutalement que Sadidiane n’eut pas le temps de réagir. La licorne se jeta devant elle et encaissa l’attaque en bronchant à peine, comme si elle était guidée par sa détermination de sauver l’adolescente. Ce n’était pourtant que de la magie, rien d’autre. La réplique du faux animal fut immédiate, et de gros rochers magiques tombèrent sur Victorion. Il les fit exploser d’un geste de la main sans qu’ils puissent l’atteindre.
— Ademon est trop faible pour lutter contre moi. Je ne sais même pas pourquoi il essaie.
C’est avec ces mots que Sadidiane prit brutalement conscience que même si la licorne n’était qu’un simple morceau de magie animé, c’était une création d’Ademon. Il avait donné plus que de la magie à cette licorne, et la détermination de la fausse créature rappelait furieusement celle de l’Okalisto. Même si ce n’était pas lui qui pilotait directement les actions de la licorne, il en était à l’origine, et elle se comportait comme il l’aurait fait à sa place. Même si elle n’y connaissait rien, Sadidiane savait que cette création magique était incroyablement complexe et avait dû nécessiter beaucoup d’efforts et d’énergie de la part d’Ademon. Tout ça pour protéger Sadidiane.
— Il essaie, car il sait qu’il n’est pas seul, Salakers.
L’homme fit volte-face et se protégea juste à temps dans un cocon d’Eau alors qu’une tempête de Feu s’abattait sur lui. Sadidiane resta un instant interdite en reconnaissant Darofrast Emkel, qui tenait sa superbe épée à la main.
Victorion l’attaqua immédiatement en l’enfermant dans une sphère d’Eau magique très agressive, où il était physiquement brutalisé, et magiquement affaibli. Son pouvoir ne dura pas, et il se dissipa alors que des flammes se répandaient tout autour de Darofrast, faisant monter la température. Le duel s’engagea ensuite réellement entre les deux magiciens, Victorion Salakers déchainant de l’Eau et de la Foudre de grande puissance sans parvenir à atteindre Darofrast, dont le Feu semblait de plus en plus puissant à chaque seconde. Sadidiane était très attentive à leur combat, essayant de se rapprocher lentement mais sûrement de la sortie sans se faire toucher par la magie des deux hommes. Dès qu’un pouvoir allait en sa direction, la licorne la protégeait de son mieux, même s’il était évident qu’elle était trop faible pour se mêler réellement de leur affrontement. Victorion réussit à déstabiliser Darofrast, et il le blessa au bras d’un coup d’épée bien placé. L’Akamorr répliqua immédiatement cependant et réussit à le blesser à la jambe en retour. Ils prirent ensuite un peu de recul, pour s’observer comme deux dangereux fauves.
L’alarme de la ville se mit brusquement à rugir, comme la veille, et Darforast tiqua légèrement, sans perdre sa concentration pour autant. Victorion, lui, eut un sourire mauvais et plein d’arrogance. Il était si satisfait qu’il n’anticipa pas le geyser de Feu magique qui apparut sous ses pieds. Il fut fauché par les flammes et tomba en arrière en poussant un cri de rage. La licorne se précipita alors vers Darofrast, comme pour inciter Sadidiane à faire de même. C’est ce que l‘adolescente fit, et l’Akamorr lui ordonna abruptement de courir, se mettant lui-même en route.
Au moment de franchir la porte de sortie, le bâtiment se mit à trembler, et Sadidiane tomba à genoux au sol. Une force invisible, mais supérieure était en train de l’attaquer. Elle ressentit la même douleur à la tête que celle causée par l’apparition d’Emilien Astrovian, lorsqu’elle était encore aux côtés d’Ademon. Sa vision se brouilla, et elle entendit des hurlements assourdissants. Des hurlements de femme, ou plutôt de jeunes filles voire de petites filles. Elles pleuraient et hurlaient dans sa tête, et Sadidiane ressentait leur souffrance et leur peur. Elle sut instantanément qu’il s’agissait des précédentes Grandes Prêtresses, et elle sentit un mélange de désespoir et de colère la submerger. Elle n’arrivait plus à voir quoi que ce soit, sa vision était complètement brouillée, tout était sombre. Elle était sourde au monde réel, et ne pouvait qu’entendre ses prédécesseuses hurler leur douleur. Pourtant, une silhouette se détacha du reste, gagnant en clarté au fil du temps, et rapidement, Emilien Astrovian se tint devant elle, un air dur et impitoyable fixé sur son visage.
— Tu ne peux pas fuir, petite prêtresse.
La voix de l’homme résonnait directement à l’intérieur de sa tête, comme les hurlements des autres prêtresses.
— Ferme les yeux et endors-toi. Je te promets que tu ne souffriras pas.
Elle avait envie de lui obéir. Elle ne voulait pas souffrir comme les autres prêtresses, et elle était fatiguée d’avoir peur. Elle capta un léger mouvement dans son champ de vision, à sa droite, et elle tourna la tête pour se retrouver nez à nez avec la licorne d’or d’Ademon. Elle était translucide, presque disparue, mais sa présence était suffisante pour effacer le désespoir et la fatigue de Sadidiane. Les cris et la souffrance diminuèrent en intensité, et elle sentit la colère la submerger.
— Je ne vous servirai pas de sacrifice !
Cette simple révolte verbale libéra une onde de magie à la puissance époustouflante. Emilien Astrovian fut balayé comme un fétu de paille, et Sadidiane fut rapidement de retour dans le monde réel. Tout était en flammes autour d’elle : le combat entre Darofrast et Victorion avait apparemment repris de plus belle pendant ses hallucinations visuelles et auditives. Les deux hommes se battaient au corps à corps avec beaucoup de violence. Le bâtiment tremblait entièrement, et la jeune fille ressentait la rage d’Emilien Astrovian. Il fallait partir, et vite.
— Darofrast !
Il lui lança un léger regard, et cela offrit malheureusement une ouverture inespérée à Victorion. Il réussit à le blesser au flanc, et enchaina avec une attaque de Foudre que Darofrast ne put éviter. L’Akamorr tomba à genoux, les muscles contractés sous l’effet de la magie paralysante et agressive qui l’attaquait. Sadidiane poussa un « non » désespéré lorsque Victorion entama un mouvement d’épée destiné à décapiter net son adversaire. La licorne, qui était presque éteinte à présent, se jeta sur lui et lui explosa à la figure. L’explosion était vraiment faible, insignifiante pour un magicien comme Victorion. Elle fut cependant suffisante pour interrompre son mouvement et Darofrast en profita pour l’enfermer dans un cube de Feu agressif. Il se releva ensuite rapidement et attrapa Sadidiane par le bras pour la guider à sa suite. L’adolescente se laissa faire, complètement sous le choc. La licorne avait disparu. Ademon n’était plus avec elle. Juste devant le siège du Conseil, des militaires armés descendaient de leurs véhicules alors qu’un gradé leur hurlait des ordres. Darofrast les agressa immédiatement avec une tornade de flammes, grande, majestueuse, mais immobile, ce qui sema la panique dans leurs rangs. Il se remit à courir, sans lâcher Sadidiane, et la guida dans une rue voisine où les attendait sa moto. C’est en voyant le véhicule que l’adolescente réalisa qu’ils allaient partir. Sans Ademon.
— Il faut qu’on attende Ademon ! Il va revenir ! Il m’a promis de me rejoindre !
Elle détesta le regard plein de compassion que l’Akamorr lui adressa en réponse.
— Je suis désolé, mais je ne pense pas qu’il pourra tenir cette promesse. Tu peux honorer sa mémoire en survivant. C’est ce qu’il voulait.
Elle écarquilla les yeux.
— Il va venir, il faut qu’on l’attende ! La licorne, elle…
Elle se tut, ne sachant même pas comment finir cette phrase. La licorne avait disparu. Comme Ademon.
J’espère que ce chapitre vous a plu. Je vais prochainement faire un Quiz « Quel personnage d’Akalivan êtes-vous ? ».
N’hésitez surtout pas à commenter !
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